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Carole Martinez, des contes aux romans enchantés : une écrivaine brodeuse de mondes

Lundi 1 décembre 2025
Culture

Depuis Le Cœur cousu en 2007, Carole Martinez s’est fait une place singulière dans la littérature française, grâce à ses ouvrages, entre contes et romans. Ancienne professeure de français, elle mêle dans ses écrits réalisme et merveilleux pour raconter des destins de femmes. Pour ce numéro des Échos, depuis le Mexique, elle a accepté de nous conter son aventure, avant sa venue à la médiathèque le 11 décembre prochain. 

©Francesca Mantovani®Editions - Gallimard

Carole Martinez, des contes aux romans  enchantés : une écrivaine brodeuse de mondes

Un succès immédiat  

« Les contes, ça n'a l’air de rien, mais ils nous accompagnent, de l’enfance à la vieillesse », confie Carole Martinez, fascinée depuis toujours par ces récits populaires, transmis de génération en génération, y compris au sein de sa propre famille. Avec Le Cœur cousu, son premier roman, elle rend hommage à sa grand-mère paternelle, concierge et raconteuse d’histoires. « Elle vivait dans un minuscule espace, et pourtant elle y déployait des déserts. Elle croyait aux pouvoirs des miséreux, faisait des rituels avec des ingrédients du quotidien comme du sel ou de l’huile. » se souvient l’autrice. De cette enfance nourrie de contes et de prières non écrites, Carole Martinez a tiré la conviction que les histoires relient les êtres dans le temps et l’espace. 

Dans ce roman presque familial, l’histoire d’une lignée de femmes dotées de pouvoirs mystérieux a conquis critiques et lecteurs, lui valant le Prix Renaudot des lycéens. Un succès après 20 ans de récits oraux et d’écriture. « J’écrivais dans le désordre absolu ce que je contais, puis j’ai rassemblé mes textes comme des petits cailloux poétiques laissés sur un sentier pour en faire un roman » détaille Carole Martinez. Parfois découragée, elle a songé à ranger son manuscrit avant que son mari ne la pousse à déposer une version inachevée dans une maison d’édition. Gallimard l’a rappelée. C’est le début d’un nouveau chapitre de sa vie et il y en aura d’autres... Quatre ans plus tard, Du domaine des murmures la consacre avec le Prix Goncourt des lycéens. Ce roman médiéval sur une recluse volontaire confirme son talent à donner voix aux oubliées, aux silencieuses de l’Histoire. Elle poursuit cette veine avec La Terre qui penche (2015) puis Les Roses fauves (2020). Elle sort en 2024 une fable écologique, Dors ton sommeil de brute.

Quand les contes deviennent romans 

Ses histoires naissent souvent à l’oral - en classe, en médiathèque, dans les librairies - avant de se déployer sur la page, plus denses, plus poétiques. Elle lit souvent ses textes à ses proches, pour sentir ce qu’ils éveillent chez eux et sortir du processus solitaire de l’écriture.  

« Je raconte avant d’écrire, mais je n’écris pas ce que je raconte... L’écriture me surprend toujours », dit-elle. Écrire, pour Carole Martinez, c’est embarquer sans boussole ou presque. « Je sais où je veux aller, mais pas par quels méandres je vais passer », confie-t-elle. L’écriture l’emmène ailleurs, l’éloigne parfois de ses contes : un récit prévu pour un simple chapitre prend vie, s’étoffe, devient parfois autre chose. Ce fut le cas pour Esclarmonde, qui devait n’être qu’un passage, un chapitre, et qui est devenue l’héroïne Du domaine des murmures.

 L’écriture, pour Carole Martinez, n’est jamais une technique, « cela m’ennuierait vite ». Le texte est une matière vivante, un fil qu’on suit pour découvrir ce qu’il nous réserve.  

Une plume libre et vivante 

Ce goût du mystère la pousse à inventer plutôt qu’à copier le réel. Grâce à ses recherches, elle imagine le décor dans lequel elle plonge ses personnages. Du domaine des murmures a été écrit avant même qu’elle ne voie le paysage qui l’a inspiré : « Je crains que la réalité me contraigne et en même temps elle fait partie de mes romans. C’est important pour moi de m’ancrer dans le réel. C’est pour cela que je me documente beaucoup » explique Carole Martinez. Aujourd’hui, elle prépare un nouveau roman, entre la France et le Mexique de 1834. Une aventure nourrie d’un cadre réaliste, mais avec une plume toujours aussi libre de ses inventions.  

Carole Martinez explore souvent les mêmes territoires : la liberté, la foi, la transmission, la puissance du féminin. Ses héroïnes murmurent, mais leurs voix résonnent fort. Professeure à Sciences Po, elle s’attache à transmettre cette conviction à ses étudiants : l’art peut transformer la peur, la douleur ou le doute en beauté à partager. « L’art nous permet de vivre des vies qui ne sont pas les nôtres et de mêler nos propres émotions à celles de l’Autre », nous glisse-t-elle, comme une ultime leçon.