Au guidon de sa trottinette électrique, c’est le sourire aux lèvres que Gilles arrive tous les jours au travail, heureux de retrouver ses collaborateurs et l’ambiance de son cinéma, qu’il apprécie tant. Passionné, ce presque-quinquagénaire a roulé sa bosse de salle en salle, mais pas que. Coup de projecteur sur son parcours.
Il naît et grandit à Blois, dans le Loir-et-Cher. Ses parents, entrepreneurs en maçonnerie, ont construit leur maison pour sa naissance. Bercés par les saveurs du terroir, Gilles et son frère aîné savourent la cuisine maison de maman. Le flan à l’abricot ou le clafoutis aux cerises, avec les fruits du verger… « Mon père chassait le gibier, et on allait pêcher l’anguille ou les écrevisses à la rivière », se souvient-il. L’industriel, très peu pour lui. Il aime la bonne chère.
Gilles intègre un lycée technique hôtelier pour y passer son bac puis un BTS en restauration. Son oncle, chef cuisinier d’un restaurant 3 macarons au Michelin, l’accueille pour ses stages pratiques. Le restaurant est situé à Cannes, non loin du Grand Palais… un prémice peut-être ?
À 20 ans, il quitte sa province pour venir travailler au parc Astérix comme responsable de restaurant. « Le midi il fallait servir plus de 1 000 pizzas sur trois services, c’était une course folle ! », se remémore-t-il. L’un de ses collègues évoque un poste de responsable restauration à l’UGC de Rosny2, un complexe cinéma fraîchement ouvert… Gilles est embauché, et met un pied dans le monde du grand écran.
Après avoir fait ses premières armes en Ile-de-France, il est nommé cadre et muté à Lyon, qui détient l’un des plus gros pôles restauration des complexes UGC à l’époque. Il fait le tour du métier, puis décide de se former au métier de l’exploitation cinématographique (la projection, gestion d’équipe, programmation, animation de salles etc.). « Il n’y a pas vraiment d’études spécifiques pour devenir directeur de cinéma, c’est un poste aux compétences polyvalentes, on apprend sur le terrain. C’est ce qui me plaît dans ce métier c’est que ce n’est jamais routinier. »
La direction de son 1er cinéma lui est confiée en 2001, à… Vélizy 2 ! Il y restera moins d’un an, mais emporte tout de même avec lui des souvenirs mémorables comme la venue de Djamel Debouze pour une séance spéciale d’Astérix mission Cléopâtre. Vélizy demeurera l’une de ses plus belles expériences, « c’était mon premier site ».
Il est ensuite nommé directeur d’un complexe plus important, à Bercy. En 2004, on lui confie l’ouverture du cinéma de Saint-Quentin-en-Yvelines. « Une ouverture, c’est beaucoup de gestion de travaux, organiser la campagne de recrutement, la communication, rencontrer les journalistes … c’est un métier multifacettes. Ce sont des moments magiques, on a qu’une hâte c’est de les revivre ».
A Strasbourg ensuite (2e plus gros cinéma de France) où il passera 8 ans, il sera marqué par sa rencontre avec Michel Cieutat, un professeur d’université spécialiste du cinéma français et américain. « Il venait présenter des films cultes et animait le débat avec le public. C’était un moyen d’apporter une autre vision du cinéma au spectateur. Il remet les films dans leur contexte, les références historiques ou religieuses… Il m’a énormément appris. »
Humainement, son métier le passionne, lui qui a pu échanger avec Guillermo Del Toro, boire une bière avec Matt Damon et plaisanter avec Ryan Gosling. « Mon parcours est jalonné d’expériences excitantes », dira-t-il. « A Ludres en 1998, on a vécu la sortie de Titanic. On n’imaginait pas la vague qui allait déferler ! Le 1er mercredi on était à peine complet, le vendredi c’était plein et ça allait durer six mois. Je me souviens certains soirs être obligé d’annoncer aux gens « messieurs dames c’est complet pour ce soir, demain également, prochaine séance dimanche. C’est le genre de choses qui n’arrive quasiment qu’une fois dans la vie ! ».
Les équipes de films enrichissent son expérience, lui qui a vécu l’avant-première du film Les petits mouchoirs diffusé sur 5 salles avec Guillaume Canet et toute son équipe, reçu l’avant-première mondiale des Animaux fantastiques avec la privatisation des 18 salles ! Il sera également marqué par l’émotion d’une rencontre entre le public et l’acteur éthiopien du film Va vis et deviens, ou par les fans hystérique de Takechi Kitano pour la sortie de Zatoichi. « C’était inattendu », commentera-t-il.
Lorsqu’on lui propose l’ouverture du nouveau cinéma de Vélizy 2 en 2019, il répond avec humour « de toute façon c’était pour moi Vélizy, je l’avais demandé depuis toujours, ce n’était pas la peine que quelqu’un d’autre postule ! » Une sorte de concrétisation pour ce directeur, qui prend plaisir à former et voir évoluer ses équipes. Depuis son arrivée à Vélizy, huit de ses collaborateurs ont été promus parmi la cinquantaine qu’il encadre, et il en tire une très grande fierté. Un poste au siège ? Très peu pour lui. Lui ce qu’il aime ce sont « ses collaborateurs, son public, ses équipes de film ». L’humain, en somme.
Quant à ses goûts en matière de film, il se dit « bon public pour plein de types de films ! Je n’ai pas un sens acerbe de la critique, j’arrive toujours à trouver les bons côtés d’un film. Oui, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et Babysitting me font marrer ! ». Egalement très adepte des films grand spectacle, type Le seigneur des anneaux, Casino Royal, ou Inception… il admet avoir « une petite connotation fantastique, je me plonge dans un autre monde. Dès que l’écran devient noir, je retrouve mon œil d’enfant ». C’est d’ailleurs Planète interdite, un film de science-fiction, qui figure au palmarès de ses films préférés et dont il arbore fièrement l’affiche chez lui ! Côté réalisateurs, il se dit « fan de Tim Burton et trouve « Tarantino hallucinant, j’adore Kubrick, Audiard, Scorsese, Dolan, Miyazaki et bien d’autres ». Comble, s’il mémorise parfaitement les films qu’il a programmés au cours de sa carrière, il a en revanche beaucoup plus de mal à retenir les noms d’acteurs ! (rires).
Ce qu’il aime au cinéma, c’est la diversité, « j’aime que tous les publics se côtoient, les familles viennent voir un Disney, d’autres un film d’auteur français, un documentaire ou une comédie anglaise. La diversité, c’est notre credo ». Il se souvient des fêtes du cinéma, à l’époque où les abonnements n’existaient pas et les cohues humaines des files d’attente les bousculaient pour entrer. « C’était de la folie, mais c’était génial ! C’est pour ça que je suis toujours resté dans le cinéma et que je l’aime toujours autant. Dans cet environnement-là, je me sens heureux ».
S’il savoure chaque instant de sa vie parisienne à 100 à l’heure entre les avant-premières, les musées, les débats… il s’accorde dès que possible une parenthèse dans sa Sologne natale. « J’en ai besoin, ça m’équilibre. Le cinéma, j’aurai pu ne jamais y venir. » Dans sa jeunesse, il ne s’y rend que 2 à 3 fois par an maximum. Depuis son village de 3 000 habitants, le premier cinéma est à 15km. « On y allait chaque 24 décembre, à la séance de 20h. On allait voir le nouveau Disney, le dernier Belmondo ou un épisode des Gendarmes à Saint-Tropez. J’étais un tout petit consommateur de cinéma ». Quand on évoque l’idée du petit cinéma de quartier dans le Loir-et-Cher pour une fin de carrière, Gilles répond « pourquoi pas ? »…
S’il a troqué son tablier pour le grand écran il y a quelques années, le directeur n’en reste pas moins un épicurien qui croque la vie à pleines dents. Cet enfant du terroir navigue entre toutes ses passions que sont le cinéma, la cuisine, la nature, la culture… Et si le contexte actuel est difficile pour Gilles et ses équipes, une chose est sûre, dans ses yeux, la vie est belle…
MB