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PHILIPPE LANGELLA, Explorer l'infiniment petit pour révolutionner la santé humaine

Miércoles, 31 de enero de 2024
Salud

Véritable précurseur des probiotiques, Philippe Langella, directeur de recherche, transforme les découvertes sur les bactéries intestinales en avancées médicales. Couronné du Grand Prix des Lauriers 2023 de l’INRAE pour ses contributions exceptionnelles, le chercheur vélizien nous dévoile son parcours et revient sur ses succès scientifiques.

PHILIPPE LANGELLA, Explorer l'infiniment petit pour révolutionner la santé humaine

Animé par le désir de soigner, Philippe Langella s’oriente tout d’abord vers des études de médecine. Il manque le concours à seulement trois places. Une déconvenue de courte durée, l’étudiant se dirige alors vers la biologie puis la microbiologie. « J’ai eu du nez ! A l’époque, personne ne s’intéressait aux micro-organismes, à savoir : les bactéries, les levures, les virus, les parasites » se remémore-t-il. En 1982, il décroche son Master en microbiologie industrielle et appliquée. Diplôme en poche, il réussit le concours d’entrée à l'Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) à Rennes : « J'avais le sentiment que mes recherches pouvaient avoir un impact sur la société et cela me plaisait énormément ». Le jeune chercheur se consacre ensuite à l’étude des bactéries lactiques et obtient son doctorat.

Des bactéries au menu : matin, midi et soir

Dès ses débuts, Philippe Langella s’intéresse aux effets bénéfiques de certaines bactéries alimentaires. Ces bactéries appelées probiotiques, que l’on ingère vivantes en mangeant des aliments fermentés, ont des effets bénéfiques sur notre santé. « Le meilleur exemple, c’est le yaourt qui contient des millions voire des milliards de bactéries par gramme. Il a été ainsi prouvé que les personnes intolérantes au lactose peuvent en consommer sans que cela entraîne des inconforts digestifs ! Pourquoi ? Contrairement à un verre de lait, le lactose contenu dans le yaourt a été dégradé par l’action des bactéries. » Alors, pourquoi ne pas essayer d’utiliser ces bactéries bénéfiques pour créer des médicaments et vaccins ?

Du tube à essai au tube digestif

En 1988, il rejoint l’Unité de génétique microbienne à Jouy-en-Josas et s’installe par la suite à Vélizy-Villacoublay avec sa femme, elle-même ingénieure. En tant que chargé de recherche, il parvient à manipuler génétiquement des bactéries lactiques pour leur faire délivrer des molécules d’intérêt santé et notamment secréter un antigène du papillomavirus. Une piste pour développer un potentiel vaccin contre ce virus très répandu. Il constitue par la suite une équipe de recherche autour de l'utilisation santé des bactéries lactiques, et, en 2004, il est nommé directeur de recherche à l'Unité d'écologie et physiologie du système digestif. En 2007, il croise le chemin d’Harry Sokol, professeur de médecine et gastro-entérologue. L’un est microbiologiste, l’autre est au contact direct des patients. Lorsque ces deux passionnés se rencontrent, la complicité est évidente et ils vont unir leurs efforts pour développer de nouveaux traitements contre la maladie de Crohn. Ensemble, ils vont faire une découverte qui va changer le cours de leur histoire mais aussi celle de la science.

Le microbiote intestinal : un organe hors du commun !

L’expert du microbiote intestinal nous explique que celui-ci est propre à chacun. Comme une empreinte digitale, il est lié à notre mode de vie, notre environnement, notre façon de nous alimenter… en résumé c’est notre carte d’identité microbienne et elle est garante de notre bonne santé. Ensemble, ils vont faire une découverte qui va changer le cours de leur histoire mais aussi celle de la science. Philippe et son compère constatent que dans le microbiote des patients en rémission de la maladie de Crohn se trouve une bactérie absente de celui des patients en rechute. Ils implantent cette bactérie qui s’appelle Faecalibacterium prausnitzii (Fprau) chez des souris atteintes de cette maladie inflammatoire chronique de l’intestin et elles guérissent ! Voici donc la première bactérie probiotique issue du microbiote intestinal à être utilisée à des fins thérapeutiques. La publication de ces résultats va faire le tour du monde.

« Harry a coutume de dire que cette découverte a changé nos vies et je crois qu’elle a effectivement dynamisé nos carrières. En tant que scientifique, quand vous avez une publication qui est citée entre 50 et 100 fois, vous êtes déjà très content… La publication décrivant nos travaux sur Fprau a été citée plus de 4 000 fois - souligne-t-il tout en restant très humble - Elle fait partie des dix publications dans le domaine du microbiote intestinal les plus citées au monde. C'est assez phénoménal ! »

Guérir : le but ultime

Tout s’accélère, après avoir déposé trois brevets sur Fprau, ils lâchent la blouse pour donner des conférences et créent une start-up avec Harry et trois autres collègues. « Notre objectif était de transposer ces succès en santé humaine ». Ils souhaitent exploiter les vertus de cette bactérie probiotique dite de nouvelle génération pour concevoir un médicament. L’engouement des partenaires académiques et industriels est tel qu’ils arrivent à obtenir des levées de fonds successives jusqu’à 26 millions d’euros ! Cela leur permet de poursuivre des recherches sur les infections à Clostridium difficile ou encore pour renforcer l’efficacité de l’immunothérapie chez les personnes atteintes de cancers.

En parallèle, notre chercheur vélizien dirige un laboratoire de 60 personnes à l’INRAE. Son équipe est composée de microbiologistes et de physiologistes. « Nous avons des expertises extrêmement étendues et nous travaillons à la fois sur les probiotiques traditionnels et de nouvelle génération. Maintenant, on sait les cultiver, les isoler, les caractériser. »

Ils étudient entres autres, le lien entre le microbiote intestinal et l’axe intestin- cerveau avec la maladie d’Alzheimer, ou encore la transmission du microbiote de la mère vers l’enfant, primordiale dans les 1 000 premiers jours du nouveau- né. Saviez-vous qu’un bébé né par césarienne hérite d’une partie du microbiote du personnel qui a opéré la maman ? En effet, notre microbiote dépend du mode de délivrance de notre naissance ! Son laboratoire travaille actuellement avec des partenaires de l’agroalimentaire pour que leurs découvertes puissent déboucher sur la conception de laits maternisés enrichis en probiotiques. L’interview aura duré plus d’une heure tant il y avait de choses à partager sur le fabuleux pouvoir de notre microbiote ! Il faut dire aussi que le chercheur est passionné et passionnant.

Essais cliniques : le suspense des derniers instants

Pour créer un médicament, le processus est long. Entre l’excitation de la découverte, la tension des essais cliniques pour vérifier que les résultats sont concluants, et la satisfaction de la mise sur le marché d’un médicament, il faut être particulièrement patient. Le schéma n’est pas le même pour les compléments alimentaires car les exigences sont infiniment inférieures. Sur la base d’essai préclinique sur des souris, sans essai chez l’homme, des compléments alimentaires peuvent se retrouver en pharmacie, avec une efficacité relative…

« Pour un médicament, tant qu'on ne l'a pas testé chez l'homme, il faut être extrêmement prudent et modeste. C’est un peu comme la fin d’un match, les dernières minutes sont les plus importantes. L’essai clinique, c’est la phase où l’on découvre si ce que l’on a développé fonctionne » explique-t-il. A deux ans de la retraite, le chercheur le sait, il ne sera pas présent au labo pour la concrétisation de tous ses travaux. Loin d’en être frustré, il semble parfaitement serein. « A l’INRAE, nous ne sommes pas loin de 8500 personnes, répartis en quatorze départements. Chaque année, chaque chef de département désigne un potentiel candidat pour concourir au prix des Lauriers. En novembre 2023, j’ai gagné le Grand Prix. Je trouve ça plutôt très bien pour terminer ma carrière » conclut-il avec un grand sourire.

Et pour la suite ?

« Je suis né dans les Pyrénées, j’ai étudié à Marseille, j’ai travaillé à Rennes, mon épouse est originaire d’Auvergne et c’est ici, à Vélizy, que nous avons choisi de nous installer il y a 35 ans pour élever nos trois enfants. Et même si je me prépare à passer le flambeau dans quelques années, nous resterons ici. » affirme le père de famille. Pour autant, le biologiste passionné continuera de suivre l’avancée des recherches de ses amis scientifiques !